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ENSEIGNEMENT

Une École héritière des Beaux-Arts Européens et de l’Orientalisme

 

 

Entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, la France cherche à consolider son emprise sur les colonies. La spécificité française va alors résider dans la fondation d’établissements permettant de diffuser une influence occidentale par le biais d’un cadre institutionnel et d’un enseignement rationalisé. Fondée en 1881, l’École des Beaux-Arts d’Alger devient la première école à être instituée en tant qu’école nationale sur le territoire colonial. Elle illustre cette volonté française de s’implanter culturellement sur le territoire algérien. 

 

Dans le cadre de cette acculturation théorique et pratique, la création de l’École des Beaux-Arts d’Alger vise à unifier la scène artistique en exportant un modèle français et une esthétique occidentale : l’École est conçue comme une copie conforme de l’École des Beaux-Arts de Paris et l’enseignement se focalise sur l’apprentissage théorique et pratique des méthodes occidentales dont l’une des plus emblématiques est la connaissance de la peinture de chevalet.

 

En tant que première école implantée sur le territoire colonial, l’ambition première des Beaux-Arts d’Alger est alors de former des artistes français, peintres orientalistes en immersion à Alger, et de les préparer au concours national d’entrée à l’École des Beaux-Arts de Paris.  A cette époque, l’École des Beaux-Arts d’Alger privilégie alors presque exclusivement les colons français au détriment de la population autochtone.

Charles Cordier vers 1860, photographie anonyme, Paris, Bibliothèque nationale de France

Alger avant les Beaux-Arts
 

Alger devient la destination fétiche des artistes Européens en quête d’une représentation fantasmée de l’Orient. En 1851, trente ans avant la création de l’École des Beaux-Arts, une Société des Beaux-Arts à Alger permettait déjà aux artistes de se rencontrer. 

Fondée en 1854 par Laperlier, cette société prend la forme d’un foyer culturel propice aux rencontres entre artistes. Ce foyer intellectuel était alimenté notamment par des cours de dessin dès 1877, ce qui a permis de présenter quelques années plus tard une exposition de peinture. Dans la continuité de cette volonté de rassemblement des artistes, Charles Cordier fonde en 1897 la Société des Artistes Algériens et organise un Salon de peinture dans l’optique de créer une émulation artistique, en faveur des artistes algériens. La fin du siècle marqua, sous la Société des Peintres Orientalistes Français (SPOF), concrétisée en 1893 sous l’impulsion de Léonce Bénédite, puis sous la Société Coloniale des Artistes Français (SCAF) fondée en 1908 par Louis Dumoulin, le début de l’institutionnalisation du voyage en Algérie par la création de bourses de voyage.

 

Un contexte colonial

Les sociétés d'artistes

Par le biais de bourses de voyage, en association pour certaines avec le ministère des Colonies, la SPOF a tenu un Salon annuel à Paris jusqu’en 1948. La SCAF se place en héritière en proposant à son tour des bourses de voyages sous la tutelle du ministère de l'Instruction publique et des Beaux-arts, des ministères des Colonies et des Affaires Étrangères. Cette société renforce la réunion d’artistes coloniaux par son lien étroit avec l’administration, ce qui favorise l’appel de ces artistes pour la réalisation de commandes publiques.

L’influence de ces sociétés culmine avec la création en 1881 de l’École qui s’inséra dans un modèle institutionnel plus large, en accord avec Paris.

La Société des Peintres Orientalistes Français a pour but de favoriser les études artistiques conçues sous l'inspiration des pays et des civilisations d'Orient et d'Extrême-Orient, par tous les moyens dont elle peut disposer : expositions annuelles, expositions rétrospectives, publications, conférences, missions d'encouragement aux artistes, aux sociétés locales, aux musées. Subséquemment, elle s'attache à faire mieux connaître ces pays et les races indigènes d'Orient et d'Extrême-Orient, à diriger dans un sens critique l'étude des arts anciens, de ces civilisations, et à contribuer au relèvement de leurs industries locales .

 

Statuts de la SPOF, d'après Stéphane Richemond, Les Salons des artistes coloniaux, 2003, p. 28

L’organisation de l’enseignement durant les premières années de l’École

Léon Cauvy (c) Domaine public

L’École d’Alger est pensée comme une École Régionale Française et reprend ainsi les grands principes de l’École de Paris. Concours d’admission unique et même enseignement/programme, l’École algérienne a cette particularité d’accueillir des artistes héritiers de la tradition orientaliste amorcée par Eugène Delacroix.

 

L’École s’articule alors autour de l’enseignement d’une dizaine de professeurs titulaires renommés et de leurs assistants chargés de cours. Parmi eux Léon Cauvy (1874-1933) et Georges Béguet (1884-1952) sont influents et revendiquent la qualité de l’enseignement.

Nous avons à Alger une École Nationale des Beaux-Arts. Le titre de « nationale » indique suffisamment qu’il s'agit d'une grande institution où l'on doit s'efforcer de former des artistes vraiment dignes de ce nom. Et de fait, nul ne saurait nier que les élèves-peintres n'y soient instruits par des professeurs d'élite qui ont su faire de l'établissement où ils enseignent un authentique foyer artistique, une école de l'orientalisme, réalisant ainsi une œuvre magnifique de décentralisation.

 

Quat’z’Arts, « Les cours d’architecture à l’École des Beaux-Arts d’Alger : une réforme qui s’impose » dans Le Journal général des travaux publics et du bâtiment, 31 mai 1928, n°233, p.1.

Le règlement de 1881 prévoit un cursus organisé sur deux années autour d’un tronc commun, aboutissant ensuite à une spécialisation. Les premiers enseignements comportent une étude du dessin linéaire et du dessin à main-levée, des figures géométriques et d'ornement au trait. Ces bases sont ensuite complétées par l’intégration de cours théoriques tels que l’histoire de l’art et de l’archéologie, l’anatomie.

Enfin, une étude plus approfondie du dessin et de sa composition passe par une initiation au dessin d’architecture et au dessin de la figure d’après l’antique. À partir de ce tronc commun, les étudiants choisissent une spécialité entre la peinture, la sculpture, l’architecture et le cours de mathématiques et de construction.

 

L’enseignement se construit autour du système de concours : il permet la préparation des examens d’admission de l’École des Beaux-Arts de Paris ou du concours d’obtention du brevet de professeur de dessin. Par des bourses et des récompenses, l’École cherche à faire valoir le travail de ses élèves pour attirer des artistes reconnus et ainsi gagner en réputation. Cependant, son objectif n’est pas de former des étudiants algériens : elle reste un établissement destiné aux français et aux étrangers. 

Cours de dessin à l'École nationale des Beaux-Arts d'Alger

L'organisation de l'école en 1912

Même si à travers son histoire, l’École des Beaux-Arts s’est ouverte à des enseignements plus diversifiés tels que les « Arts industriels indigènes » 1912 ou encore une section de gravure en 1948, l’institution algéroise reste marquée par le modèle parisien. À partir de ces bases, l’École va chercher à ouvrir son cursus à de nouveaux enseignements. 

Depuis sa fondation et jusqu’aux années 1940, l’École accueillait en moyenne entre 300 et 400 élèves et offrait une instruction libre, malgré son organisation calquée sur le modèle parisien. Elle devint une École régionale affiliée à l’École des Beaux-Arts de Paris lors du conflit mondial qui nécessita le rapatriement de certains élèves en zone libre.  

Léon Cauvy, Marchands sur le port d'Alger Huile sur toile

Parmi les professeurs français, Léon Cauvy, professeur de peinture et directeur de l’École des Beaux-Arts d’Alger de 1910 à 1933, participe à l’instauration d’une nouvelle forme d’orientalisme qui se focalise sur des scènes représentatives de la vie arabe. Au côté d’artistes éminents tels que Louis-Ferdinand Antoni, enseignant en Arts Décoratifs, il participe à la formation d’élèves algériens, citons notamment Abdelhalim Hemche, Mohammed Temmam ou Brahim Benamira.

A cette époque, l’enseignement passe par la diffusion d’un art humaniste occidental basé sur l’anthropomorphisme. Ainsi, cette institutionnalisation de l’art du XXe siècle donne une grande importance à la figure humaine. L’étude de l’anatomie prévue dans l’enseignement des Beaux-Arts participe pleinement à la mutation artistique qui a lieu en Algérie dans la première moitié du XXème siècle.

Des modèles venus d'Occident

L’enseignement fonctionne en complémentarité avec la présence d’artistes voyageurs, d’expositions et de collections muséales dans un établissement nouvellement créé, le Musée des Beaux-Arts, officialisé en 1930.

 

Ce musée permet de fournir des modèles de l’art français qui illustrent ainsi l’enseignement donné à l’Ecole. Jean Alazard, chargé par le gouvernement général de l'Algérie de l'aménagement du nouveau musée d'Alger et de la constitution de ses collections, met à l'honneur la peinture et la sculpture contemporaines. Le musée d’Alger, devenu une référence, élargit ses collections grâce aux dons d’artistes locaux qui sont pour certains des anciens élèves de l’École. 

«Pour éclairer les élèves et les artistes indigènes sur les traditions esthétiques de leur race, des musées, où sont réunies les plus belles œuvres du passé, ont été installés dans les capitales .

Henri Gourdon, La protection de la vie locale en Indochine, 1931, p.3.

 On a d'abord voulu donner à l'école d'art français contemporain la place qui lui revenait de droit ; un pays jeune était naturellement destiné à s'intéresser à la peinture et à la sculpture de notre temps. Il était légitime aussi que l'orientalisme fut représenté par ses créations les plus originales et les plus vivantes, depuis les « turqueries » du XVIIIème siècle jusqu'aux modernes conceptions des voyageurs d'Afrique et des pensionnaires de la Villa Abd-el-Tif. On peut donc étudier à Alger les diverses tendances de la peinture française telles qu'elles s'expriment à notre époque et noter en même temps ce que leur doit l'exotisme et ce qu'elles lui doivent . 

Jean Alazard, préface du Catalogue du Musée National des Beaux-Arts d’Alger, 1939, p.9.

Jean Alazard

L'époque de l'émancipation académique de l'école

L’Indépendance de l’Algérie, actée par la signature des accords d’Évian en mars 1962 et effective le 5 juillet de la même année, engendre une reconquête de l’identité culturelle en permettant l’accomplissement de contestations devenues de plus en plus pressantes dans les années 1960.

 

En effet, des artistes avaient commencé à introduire des éléments de l’art traditionnel dans les enseignements académiques imposés. A partir de 1940, la miniature et les arts dits indigènes sont mis en avant avec la formation d’une section éponyme intégrée dans l’enseignement des Arts Musulmans, c’est-à-dire traditionnels, comportant la calligraphie, l’enluminure, la peinture et décoration mauresque et la céramique. Cette reconsidération des Arts traditionnels, en parallèle d’une réorientation de la peinture vers un art davantage authentique, participe à un retour de l’artisanat qui investit l’École.

 

Par la suite, cette intégration des arts traditionnels est favorisée par l’Indépendance de l’Algérie qui marque le retour d’artistes algériens partis se former à l’étranger. Bachir Yelles directeur de l’École des Beaux-Arts entre 1962 et 1964, encourage cet élan en engageant de nouveaux professeurs eux-mêmes formés aux beaux-Arts d’Alger : Choukri Mesli et Denis Martinez y enseignent la peinture, Mohammed Temmam la miniature et la calligraphie et M’hamed Issiakhem, la gravure.

 

Plus qu’un changement de l’équipe enseignante, c’est une revendication de la place centrale des Arts traditionnels, tels que la miniature et la calligraphie, dans l’enseignement fondamental de l’École des Beaux-Arts d’Alger. 

Une nouvelle forme d'art : la miniature

La volonté de « dés-occidentalisation » de la peinture, au sortir de la seconde Guerre Mondiale, passe par la mise en avant de la miniature. En effet, un nouvel enseignement pictural, à travers la pratique de la miniature et de l’enluminure, émerge par l’action de Mohammed Racim (1887-1975), ancien élève puis professeur de moulage à l’École des Beaux-Arts d’Alger. Celui-ci met au point une nouvelle forme de peinture en Algérie dans un contexte où les peintres Algériens n’étaient pas encore considérés comme créateurs. 

Le peintre Omar Racim (1884-1989), qui développa une veine d’art dit « musulman » et qui fonda l’École d’artisanat indigène dans la Casbah, spécialisée dans la formation d’artistes Algériens à l’enluminure du Coran et à la calligraphie, dira : 

 

« Mohammed Racim réalise son œuvre, selon les canons d'une esthétique qu'il invente, selon les règles du beau qu'il choisit, même s'il procède pour ce faire à un double emprunt : pour les techniques, à la peinture occidentale, pour le genre, à la grande tradition turque et persane ».
« L’émergence de la culture moderne de l’image dans l’Algérie musulmane contemporaine (1880-1980) " images au Magreb (XIXe-XXe siècles) : une révolution du visuel ?, 2010, p.34

Ces miniatures représentent des épisodes du passé glorieux d’Alger, illustrent des classiques littéraires ou encore des événements de la vie quotidienne. L’apparition de la miniature incarne la volonté de création d’un art propre à l’Algérie en réaction à un art européen jusqu’alors imposé.

 Contrairement à un lieu commun, la miniature n'est pas chez nous une forme d'expression antérieure à la période coloniale.

Mohammed Khadda

l'émergence des artistes algériens

L’École des Beaux-Arts d’Alger était donc un établissement, à l’origine, destiné aux artistes Européens. Malgré cette restriction, des peintres Algériens ont réussi à briser ces barrières et sont devenus des pionniers dans la pratique de la peinture de chevalet. Ces peintres étaient généralement diplômés des Écoles normales d’Instituteurs qui étaient alors le plus haut niveau de formation possible pour les Algériens.  Ces artistes Algériens jouent alors avec les codes artistiques pour s’établir. 

Azouazou Mammeri (1890-1954), premier artiste Algérien à utiliser la peinture à l’huile, a pour mentor Léon Carré qui lui enseigne son savoir pictural. Peintre dans la veine orientaliste, sa consécration arrive en 1921, année au cours de laquelle il expose seul ainsi qu’au Salon de la SCAF. Le pendant de cet artiste qui s’illustre à travers une peinture aux codes occidentaux serait Omar Racim (1884-1989) qui se démarque quant à lui par un art davantage nationaliste. Il inaugure une branche d’art qui sera reconnue et appréciée par les coloniaux.    

   

L'émergence de peintres fut dans ce milieu une sorte de bénéfice second puisque l'administration coloniale attendait des jeunes impétrants qu'ils deviennent des médiateurs culturels assurant la reproduction du système.

Anissa Bouyaed, « La formation historique de l’élite artistique algérienne : entre identité et modernité », dans Omar Carlier, Images du Magreb, images au Magreb : une révolution du visuel ?, 2010, p.183.

La force libératrice des artistes Algériens face à la rigidité académique leur permet de s’émanciper des attentes administratives. Plus que des médiateurs, ils  sont des précurseurs redevenus maître de leur créativité, ce qui transparaît dans les mots de Jean Alazard (voir ci-dessous).

Dans le milieu musulman lui-même, il arrive que des artistes, tout en conservant les traditions ancestrales, subissent l'emprise de l'art européen : tels le Kabyle Mammeri, qui a donné des images si curieuses de la nature et de l'humanité algériennes, le Tlemcénien Hemche et Mohammed Racim qui sait, dans ses miniatures, donner une vie nouvelle à certains thèmes orientaux.

Jean Alazard, « La place de l'Algérie dans l'histoire artistique du XIXe et du XXe siècles », dans L'Encyclopédie coloniale et maritime. Algérie et Sahara, 1946, p. 222.

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