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L'ÉCOLE  UN EXEMPLE PHARE

La nouvelle Ecole des Beaux-Arts d'Alger, une construction moderniste

L'ancienne Ecole des Beaux-Arts d'Alger était située dans le quartier de la Marine. Insalubre et proche de la Casbah, les colons français qui fréquentent en large majorité l'institution souhaitent de nouveaux locaux. En dépit de ces critiques contre la première école, la construction d’une nouvelle Ecole Nationale des Beaux-Arts et d’Architecture n'est initiée qu’en 1945. Dès 1946, le terrain de la villa Séverin Houge, d’une surface de 10 572 m2, est acquis, en vue de la construction du nouveau bâtiment.

 

Cette nouvelle école est l'une des seules constructions d’Alger originellement dédiées aux Beaux-Arts. C’est Léon Claro et son élève Jacques Darbéda qui gagnent le concours organisé par la ville pour cette nouvelle commande d’envergure. L’emplacement choisi surplombe le parc de la Liberté, le chantier se déroule de 1950 à 1954.

Ancienne école des Beaux-Arts

Vue de la terrasse de l'ESBAA en 2018 (c) MCPN

La sobriété de la construction de Léon Claro et Jacques Darbéda pour l’Ecole des Beaux-Arts, dans le style des frères Perret, témoigne d’une volonté d’harmonie avec le paysage. Situé à flanc de coteau, le bâtiment est orienté plein nord, face à la mer. Les espaces sont vastes et très ouverts, l'édifice s'adapte parfaitement à la topographie particulière d'Alger. Une monumentale terrasse étagée permet d’apprécier la vue sur la Méditerranée et une cour dallée donne accès aux différents ateliers. Les imposants escaliers contribuent à l’impression de monumentalité qui se dégage de l’école. Ces choix architecturaux découlent d’une connaissance très précise du terrain.

 

Dans son ensemble, l’Ecole fait figure de symbole militant de la tendance moderniste en architecture, exprimée par la mise en valeur de la structure, l’épuration des formes sans fioritures ni frises et l’ouverture de la façade à la lumière. De plus, l'utilisation du béton armé confirme l'influence des frères Perret et du Corbusier sur le travail des deux architectes, en particulier Claro. Le choix des fenêtres à l’italienne et des volets roulants témoigne également d’une volonté de modernité et de sobriété. Toutefois, ce modernisme est contrebalancé par un respect de la tradition Renaissance, incarnée par l’organisation du bâtiment en H et par la symétrie des deux ailes longitudinales encadrant une cour d’honneur et des allées et des jardins de part et d’autre.

Vue de l'ESBAA en 2018 (c) MCPN

Parallèlement, on retrouve de nombreux éléments typiques de l’architecture du monde arabe. Sur l’esplanade et sur certains murs de séparation des espaces, des formes en grille font référence aux moucharabiehs, un système traditionnel, dans l’architecture arabe, d’aération naturelle permettant de voir sans être vu. La composition générale reste marquée par les symétrie et la recherche de transparence par des portiques. La construction à ossature est complétée par un remplissage de carreaux préfabriqués en béton armé avec parement de gravier lavé.

Avec le temps, quelques agrandissements et ajustements ont été nécessaires. En 1978, notamment, la terrasse supérieure couverte du bâtiment est fermée par des baies vitrées, d’où le regard plonge directement dans la mer.

claro et darbéba, Les architectes

Léon Claro

Léon Claro (1899 - 1991) est né à Oran, où son père était déjà un architecte reconnu. Ses études et celles de son frère aîné Emile conduisent la famille à Paris. Après son baccalauréat, Léon Claro est d’abord l’élève de Gabriel Darbéda, professeur d’architecture à l’Ecole des Beaux-arts d’Alger, où il rencontre son futur ami le sculpteur Paul Belmondo. En 1926, il se présente au concours de Rome, mais Gabriel Darbéda lui propose au même moment de prendre sa succession en tant que professeur d’architecture à l’Ecole des Beaux-arts d’Alger. Léon Claro accepte et s’installe à Alger en 1927 pour y enseigner.​

Il y fait sa carrière en tant que professeur jusqu'en 1964. En parallèle, il travaille également en tant qu'architecte libéral et réalise d’importantes commandes publiques. Il s’illustre également dans des commandes privées avec l’aménagement de la maison d’habitation de Frédéric Lung, négociant en vins d’Alger. Léon Claro fut un personnage clé du renouveau architectural moderniste à Alger dans les années 1950. Longtemps maître de l’atelier d’architecture à l’Ecole des beaux-arts, il a grandement influencé plusieurs générations d’architectes locaux, favorables à l’adoption d’une architecture « d’esprit moderne et d’expression régionale »1.

Jacques Darbéda

Jacques Darbéda (1911-?) naît dans une famille installée en Algérie depuis 1834, son père a contribué à élargir et diversifier les activités de la famille, spécialisée à l’origine dans la menuiserie et la charpenterie. Elève à l’Ecole des Beaux-Arts d’Alger, Jacques Darbéda fait ses études d’architecture dans l'atelier de Léon Claro. Une fois diplômé, il le rejoint en tant que professeur. Les deux hommes collaborent pour la réalisation de l'hôpital de Tizi Ouzou, dernier grand chantier pour Claro en Algérie et surtout pour la construction de la nouvelle École des Beaux-arts pour laquelle ils remportent ensemble le concours organisé par la ville. En 1955, Jacques Darbéda intervient avec Louis Miquel pour la reconstruction du centre Ouest d’Orléansville, ville sévèrement endommagée par un séisme au cours de l'été précédent. Il travaille également avec Bourlier au grand projet de la nouvelle cité satellite d’El Harrach où sont d’ailleurs installés les locaux de l’Ecole d’architecture, lorsque celle-ci se sépare de l’Ecole des Beaux-Arts en 1970.
 

Le Foyer Civique, autre réalisation phare de Léon Claro à Alger

La première commande publique de Léon Claro est la construction de la Maison du Centenaire (devenue Maison du millénaire) à Alger en 1930, à l'occasion des fêtes du Centenaire de l'Algérie. Sur une initiative du Président Gaston Doumergue, le maire d'Alger décide de construire une maison caractéristique de l'habitat traditionnel indigène. Son emplacement est fixé au sommet de la Casbah des Turcs.  Claro utilise pour cette construction beaucoup d'éléments réemployés, provenant de démolitions de la Basse Casbah d'Alger et achetés à bas prix.

En 1935, Charles Brunel, le maire d'Alger, lance un concours afin de réaliser le Foyer Civique, siège de l'Union Générale des Travailleurs Algériens. Léon Claro remporte cette nouvelle commande publique très importante, cela lui permet de concevoir un bâtiment régi par les principes modernistes qui lui sont chers. En effet, si la Maison du Centenaire devait être le reflet du style et des techniques autochtones, le Foyer Civique est quant à lui résolument moderne.  

Maison du Centenaire

Foyer Civique 

L'édifice, monumental, se compose d'une ossature de béton armé. La façade abrite sous un entablement saillant un porche dans lequel s'ouvrent, en retrait, cinq portes monumentales de bronze. Deux minces pilotis supportent la partie centrale de l'architrave ; de part et d'autre du porche, les avant-corps sont décorés en partie haute par Belmondo, à droite, et par Bégué à gauche.

Outre les sculpteurs, plusieurs artistes peintres interviennent dans la décoration de l'édifice sur des thèmes définis par Léon  Claro : Émile  Claro et Le Repos des travailleurs, Fernez et Le Travail; ainsi que Carré (dans l'escalier).

Dans son ensemble, le Foyer Civique, aussi appelé « Maison du Peuple », est très représentatif de la modernité classique et monumentale que pratiquaient dans les années 1930 les jeunes architectes de la génération de Léon Claro.

Notes de bas de page :

1 Xavier Malverti, « Alger : Méditerranée, soleil et modernité », in Maurice Culot et Jean-Marie Thiveaud (dir.), Architectures françaises : Outre-Mer, Liège, Mardaga/Institut français d’architecture, 1992, p. 42.

Bibliographie :

Alger, paysage urbain et architecture 1800-2000, J.-L. Cohen (dir.), 2003

Alger, politiques urbaines 1846-1958, Zohra Hakimi, 2011

Architecture et urbanisme en Algérie : D'une rive à l'autre (1830-1962), Aleth Picard, In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n°73-74, 1994

L'architecture moderne en Algérie, 1930-1962, Emery, in « Techniques et architecture » n°329, février-mars 1980

Le Corbusier, visions d’Alger, J.-L.Bonillo (dir.), 2012

Urbanisme et architecture d'Alger, J.J. Deluz, 1988

Urbanisme et colonisation, présence française en Algérie, Saïd Almi, 2002

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