Professeur de sculpture depuis 1987 à l'ESBAA
Entretien écrit
ANISSA ZERROUKI AIDOUD
Pouvez-vous vous présenter ?
Madame Aidoud, née Zerrouki. Dans mon travail, je suis Mme Zerrouki. J’ai fait mes études ici puis j’ai fait 6 ans à Rome dans l’atelier de sculpture. J’ai aussi fait de l’architecture. J’ai un diplôme de sculpteur et d’architecte mais je préférais parler d’arts plastiques, d’arts plastiques en général. Je suis revenue à l’ESBAA dans les années 86/87, c’était très académique, j’ai réalisé une petite révolution dans cette école. Comme on n’a pas beaucoup de moyens, je travaille beaucoup sur la récupération et je travaille beaucoup sur les installations. La tendance est de travailler sur des concepts et non sur la figuration, des concepts qui en général sont liés à l’universalité, à l’humain, aux mythes, aux super-héros, à plein de choses. Entre Alger et New York, il y a une liaison avec les moyens de communication mais reste une identité culturelle qu’on essaie de faire germer dans l’esprit identitaire des étudiants
Avez-vous étudié à l’ESBAA ?
Oui j’ai fait l’école des Beaux-Arts ici fin des années 70. J’ai reçu un enseignement académique ici mais à Rome aussi, il y avait des ateliers très académiques. Quand j’ai commencé, je me suis orientée vers l’académisme. Quand un professeur m’a dit : « maintenant que vous faîtes de l’anatomie parfaite, qu’est ce que vous allez faire après ? », ça m’a donné une gifle. On avait trente-six modèles devant nous, des vieux, des jeunes. Mais comme j’avais fait quatre ans ici, quand je suis rentrée en première année là-bas, je réussissais la figuration dans toutes les dimensions. Je me suis demandée où ça aller me mener d’explorer le corps ? Le corps restera le corps jusqu’à la fin mais comment penser le corps d‘une manière différente, penser non seulement les notions de beaux, d’esthétisme. Dans les années 70, on avait déjà détruit tout ça. Malgré tous les mouvements modernes, on pouvait détruire, ajouter, allonger, exagérer mais après il fallait détruire ce corps.
Pourquoi avoir choisi d’enseigner à l’ESBAA ?
Dans les années 80, vu qu’il y avait un nationalisme exacerbé, on nous a donné une bourse, on nous a donné ceci, on nous a donné cela, on ne va pas le laisser tomber, on va revenir enseigner. On était là-bas et on contestait ce qui était ici, même en partant d’ici on contestait les vieux, c’était normal, et après quand on est revenu, c’était nos profs et on les a contestés encore
Que revendiquiez-vous alors ?
La liberté de penser, tout simplement, éternellement la liberté de penser, la liberté de faire, pas de sujets imposés. Justement, à mes étudiants, je leur demande de réfléchir, je les fais parler, ça les libèrent… Tout à l’heure, on discutait de la mort qui est un sujet de la nuit des temps. Et la mort, telle qu’on la pense et la réfléchie, tout être humain a peur de la mort et pourquoi la mort, est ce que c’est érotique, spirituelle... J’ai des athés ici et des croyants et ils débattent. Personne ne triomphe et moi je suis une fois avec l’un et une fois avec l’autre. Je garde mes pensées pour moi, j’essaie d’être équitable : et pourquoi tu crois pas, et pourquoi tu crois, et pourquoi ceci, et pourquoi cela… Ce sont des quatrième année, on travaille sur un sujet imposé et un sujet libre. Le sujet imposé est un sujet sur le land art, travailler sur un espace. Dans la discussion sur le sujet libre, je leur dis vous n’avez pas trouver de sujet alors travailler sur le vide. Et là, il y a des choses qui émergent, c’est formidable. L’enseignement me laisse des traces de jeunesse, ça me fait rire des fois et des fois je me dis bon sens comment ils réfléchissent avec tout ce qui se passe.
Quels sont vos meilleurs souvenirs de l’ESBAA ?
Les bons souvenirs que j’ai de l’ESBAA, c’est lorsque certains étudiants venus de petites bourgades, qui n’ont jamais eu un père ou une grand-mère qui leur ont parlé de musique etc, font finalement un travail extraordinaire au bout de trois ans. D’où ca sort ? Des gens qui ne parlaient pas le français et qui ont écrit des pavés, moi je suis fière. J’ai eu des syriens, des palestiniens ici, qui étaient enfermés sur eux-mêmes et qui sont devenus des gens épanouis. Ca c’est de l’enseignement. Quand je vois qu’il y a des gens qui sont partis il y a des années et qui me téléphonent de Londres - parce que tout le monde est parti et c’est souvent les meilleurs parce qu’ils n’ont pas trouvé un milieu qui leur permette d’exister, c’est difficile de percer dans l’art. On me dit qu’on est d’abord pédagogue parce qu’on doit tout donner. Un artiste ne doit pas enseigner, un vrai artiste qui se donne à fond dans son art s’il enseigne il est perdu. Moi je fais encore du bricolage comme ça, mais en réalité l’enseignement vous vide.
Qu’est ce que vous appelez « bricolage » ?
Je bricole, je fais des choses pour mon plaisir, je m’en fous, j’ai fait quelques interventions, j’ai fait des trucs au Burkina Faso, en Autriche, des installations. Mais maintenant je fais des choses pour mon plaisir personnel, j’aime la couleur, je peins. Je vends même pas. Si je vends quelques toiles, c’est pour acheter encore du matériel pour peindre, c’est tout, ce n’est pas pour devenir célèbre. Et maintenant quand je vois des gens qui reviennent – il y en a qui reviennent, c’est tellement dure là-bas qu’ils reviennent – et qu’ils viennent me saluer en me disant j’ai fait ça, j’ai fait des installations, j’ai fait ceci, j’ai fait cela, ça me fait plaisir. Mais l’enseignement ça vide, tout ce que vous avez envie de faire, vous le donnez finalement. Tout à l’heure, je leur disais regardez mais essayez d’oublier ce que vous avez vu, lisez mais essayez d’oublier ce que vous lisez, voyez mais essayez de ne pas trop voire, essayez de tirer quelque chose de vous-même, parce que tout a déjà été fait.