Né le 2 mars 1971 à Constantine
Entretien écrit
AMMAR BOURRAS
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Ammar Bouras, je suis artiste plasticien et j’ai fait l’Ecole des Beaux-Arts d’Alger.
J’ai terminé ma scolarité en 1994. Au sortir de l’Ecole, j’ai enseigné la photographie à l’Ecole des Beaux-Arts d’Alger pendant 11ans. Je m’intéresse beaucoup à la photographie. Dans mes installations, il y a toujours une image du monde extérieur sur laquelle j’interviens et généralement c’est une photographie.
Quand avez-vous commencé à intervenir
sur des photographies ?
Quand j’étais étudiant en troisième année, en spécialité peinture, j’ai commencé à m’intéresser à la photographie. J’avais toujours mon appareil photo parce qu’en parallèle je travaillais comme photographe de presse. J’avais un labo photo, je travaillais là-dedans. Un de mes professeurs d’atelier, Denis Martinez m’a dit mais pourquoi ne pas mélanger les deux, peinture et photo ? A partir de là, j’ai commencé à gratter les négatifs, à intervenir sur les photos, à intervenir pendant le tirage et dessiner avec les produits chimiques comme des fixateurs, des révélateurs, pour créer quelque chose.
L’Ecole vous a-t-elle accompagné dans cette démarche ?
Quand j’ai commencé à travailler comme ça, beaucoup de profs n’étaient pas… comment dire... pas vraiment là-dedans. A l’époque, un peintre devait faire de la peinture. Les gens ne comprenaient pas comment un peintre pouvait faire de la photo : est-ce que c’est de la photo ? de la peinture ? C’était vraiment très compliqué. Maintenant c’est devenu à la mode ! Mais au moment de ma soutenance, à la fin de mes études, parmi les membres du jury, certains se posaient la question : est-ce que c’est vraiment un peintre ? Tout simplement parce qu’il y avait un travail, des interventions sur la photo, sur du papier sensible.
Comment s’est passée votre expérience en tant que professeur ?
Dans un premier temps, être enseignant m’a beaucoup plu, c’est-à-dire, il y avait des possibilités d’essayer des choses. Après quand l’argentique est devenu presque inexistant, la matière première n’était plus disponible et on ne pouvait rien faire. Mais en tant qu’enseignant, j’aimais le fait d’être à jour, de répondre aux étudiants qui venaient me voir avec des idées et de devoir faire des recherches, me casser la tête, quand je n’avais pas les réponses. C’était ainsi au début en tout cas, après les étudiants cherchaient le 10 sur 20, ils n’étaient pas très intéressés et du coup je suis parti.
Avez-vous apprécié votre expérience à l’Ecole des Beaux-Arts ?
Avoir été à l’Ecole des Beaux-Arts, c’était le point de départ. L’enseignement est académique et chaque année les mêmes cours reviennent avec quelques changements mais en peinture on fait toujours de la peinture, en dessin on fait toujours du dessin... L’avantage des Beaux-Arts, personnellement, c’est qu’on m’a donné les éléments de base avec lesquels j’ai fait un travail personnel de recherche. J’ai exploité ce qu’on m’a appris et ça m’a poussé à chercher autre chose et à trouver de nouvelles idées. S’il n’y avait pas eu les Beaux-Arts, je ne pense pas que je serai artiste. C’est un bon élément de départ. Je ne sais pas comment ça se passe actuellement mais à l’époque l’école était un lieu de réunion, par rapport à ce qu’il se passait et ce qu’il s’était déjà passé en Algérie comme le terrorisme. L’école était un lieu où des gens proposaient autre chose, c’était vraiment bien. Il y avait une ambiance, entre étudiant, on se posait des défis, on passait des nuits blanches à travailler à l’école, ce qui était possible à l’époque. Il y avait une ambiance qui poussait à travailler. On avait des groupes et on discutait, on critiquait, on apprenait des choses. C’est le rôle de l’école !
Quel est votre meilleur souvenir de l’Ecole ?
Les nuits blanches entre étudiants, les matins autour d’un café comme dans la chanson de Charles Aznavour, la Bohème. A chaque fin d’année, on devait présenter un travail devant tout le monde, y compris les professeurs. Pour se préparer à tout ça, généralement le temps ne suffit pas donc on passe des nuits blanches entre étudiants et avec le recul, c’était de très bons souvenirs, des moments de partage, de souffrance mais aussi de plaisir. C’est aussi simple que ça. Mais j’ai beaucoup de bons souvenirs de cette école, c’est un moment de ma vie que j’aime beaucoup.
Quel professeur vous a le plus marqué ?
Sur le plan pratique, je dirai Denis Martinez. Il nous donnait la liberté de faire ce que l’on voulait, même si dans la promo beaucoup travaillaient comme lui ! Mon travail était très différent et malgré ça, il m’a beaucoup encouragé. Zoubir Hellal également. Parce que juste avant ma soutenance, Denis Martinez est parti en France et je n’ai pas trouvé d’autres professeurs pour m’accompagner dans ma démarche, à part Zoubir Hellal qui m’a beaucoup encouragé. Au moment de ma soutenance, les membres du jury se demandaient si j’étais un peintre ou s’ils allaient me recaler, Mme Haidoud et lui m’ont soutenu dans ma démarche. En 1994, la photographie n’existait pas. Il n’y avait rien d’autre que la peinture mais ces deux professeurs m’ont encouragé à répondre aux questions et à défendre mon projet. Et j’ai eu 15 !
Quand avez-vous commencé à exposer ?
J’expose depuis que j’ai terminé mes études. J’ai beaucoup exposé en France, mais aussi à Oslo, au Moma, à l’IMA, au MUCEM... J’ai fait beaucoup de chemin depuis que je suis sorti de l’école. J’ai exposé jusqu’en 2007 en Algérie et après j’ai eu des conflits avec des gens hauts placés et on m’a mis de côté mais ça ne m’intéressait pas non plus, j’étais sur autre chose. Ma dernière expo (…) Mais j’ai beaucoup travaillé ici. De 1994 jusqu’en 2007, j’exposais pratiquement chaque année.
Sur quel projet travaillez-vous en ce moment ?
J’ai un projet qui dure depuis dix ans maintenant. Malheureusement, c’est un projet qui va demander énormément de travail, il faut que j’abandonne mon boulot pour vivre et je ne peux pas abandonner le boulot qui paye mon loyer. C’est assez compliqué financièrement.
Il y aura de la sérigraphie, de la peinture et des poésies de Omar Rayyan, un peintre perse qui vivait dans un pays musulman et qui n’était pas pratiquant. Il ne croyait même pas en Dieu mais il a pu sa vivre sans problème car il y avait une certaine tolérance. Dans un passage, il interroge Dieu : « si je fais du mal et que tu me punis, quelle est la différence entre toi et moi ? »