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Entretien avec Hayet TOUBAL, étudiante en 5ème année à l’Ecole des Beaux Arts d’Alger, traduction de l'arabe au français par Houda Zekri.

HAYET   TOUBAL

Peux-tu te présenter ? 

 

Hayet : Je m’appelle Hayet TOUBAL, j'ai 27 ans. Je suis issue d’une famille modeste de Kabylie, où l’affection [masculine], celle du père, de l’oncle paternel ou maternel est totalement absente. Seul [l’élément féminin] est présent : ma mère, ma petite sœur et moi-même. Alors soit, tu décides de travailler et de montrer ce dont tu es capable, sans crainte aucune, soit tu es la tête de Turc, le bouc émissaire. J’ai envie de parler de ma vie et de commencer ainsi : quand j’étais à l’école primaire, nous étions très pauvres.

 

Dans quelle section étais-tu pour ton baccalauréat ?

Hayet : Lettres et philosophie. Quand j'avais neuf ans, j'étais en 4ème année, j'ai décidé d'avoir la 6ème [équivaut au CM2] et j'ai tenu ma promesse. Le gros problème que j'avais, c'est que je me parlais beaucoup à moi-même. Je m'interrogeais énormément sur le sens de l'existence. «  l'être humain existe-t-il ou pas ? », mais personne n'était là pour répondre à mes questions, parce que j'habitais un petit bourg, où les gens -même si je les aime parce que j'ai été élevée parmi eux - sont de parfaits incultes. Personne ne pouvait me répondre. C'étaient certes des adultes, mais sans culture aucune. Personne ne pouvait me dire comment je devais vivre. C'était à moi de répondre. Après, j'ai été fragilisée psychologiquement 

 

C'est à ce moment-là que tu as intégré l'université ?

Hayet : Non, pas encore. C'était durant la période du lycée que j'ai été atteinte psychologiquement, car personne n’avait répondu à mes questions. J'avais des crises et j'étais très solitaire. Alors je dessinais.

 

Que dessinais-tu ?

Hayet : L'autre monde. J'y crois. Je crois en ce qui n'existe pas. Ce que les autres ne voient pas, moi, je le vois. Je peux te parler de choses auxquelles tu ne pourras pas croire. Tu me diras que cela n'existe pas, mais moi je te dis que oui... Quand j’avais les crises, j'étais en capacité de deviner ce qui se cachait dans leurs yeux: la trahison et le mensonge. Pourquoi venir me voir uniquement quand j’étais malade et pas quand j'étais en bonne santé? Pourquoi me rendre visite alors que j’étais incapable d'ouvrir les yeux. C'était insupportable. 

 

Comment tu as eu l'idée d'entrer à l'ESBAA ?

Hayet : Attends, je termine. J'ai commencé à dessiner à l'âge de six ans... Ils vivaient dans le mensonge mais ils ne le savaient pas. Ils n'ont jamais rien fait pour moi et je ne voulais pas vivre comme eux. J'ai décidé de me suicider, mais ce jour-là, une voix intérieure m’avait dit que j'étais une artiste. J'ai commencé à pleurer et à peindre. Je ne savais pas ce que c'était que cette voix intérieure mais je l'ai aimée et ai voulu réaliser ce qu'elle avait prédit. Au moins, elle a su me sauver. Ce n'est peut-être qu'une illusion, pas un être en chair et en os, mais elle a su le faire. La valeur de l'être humain s'est perdue pour moi. Je me disais: nous sommes des miséreux, sans nourriture et sans chauffage, sans rien à la maison. Maman pleurait. Elle me disait comment vas-tu pouvoir réussir? Alors j'ai travaillé dans l'agriculture (oliveraies) et le bâtiment. J'ai soulevé des sacs entiers de ciment, réalisé des coffrages. Et j'aidais à la maison. Quand j'avais mon salaire, je suis allée à El Forja, bourgade éloignée de notre village, et j'ai acheté des livres. J'ai décidé de m'initier à la philosophie et à la psychologie, pour apprendre ce que c'est que l'être humain. Après on m'a dit que j'étais une perdante...

(…) 

J'ai décidé d'affronter la vie et de devenir une star, pas uniquement dans mon village, mais également ailleurs, de devenir quelqu'un de grand, pour pouvoir enseigner aux autres, car je ne méprise personne. Ce dont je n'ai pas pu bénéficier, j'aurais voulu en faire bénéficier d'autres. Nous n'avions rien, maman pleurait. Avec beaucoup de volonté, j’ai essayé de continuer et j’ai réussi à décrocher le baccalauréat. Beaucoup se sont moqué de moi, parce que mes aspirations n’étaient pas les leurs, je voulais rester moi-même et pas devenir quelqu’un d’autre, pas devenir un médecin qui a des sous. Je cherchais le savoir et non les sous. J’ai acheté des livres. J’ai décidé de vivre ma propre vie, je ne voulais pas être schizophrène. Je me suis appliqué cette règle. Quand j’ai voulu aller m’inscrire à l’université ; mon père m’a dit qu’il fallait que je reste à la maison et je lui ai répondu que s’il avait été là pour moi, que s’il avait dépensé ses sous pour ma réussite, il aurait pu décider de mon avenir, j’aurais pu prendre son avis, mais là ce n’était pas le cas et j’étais décidée à aller à la fac des Beaux-arts ; là-bas.

 

Tu n’as pas commencé par étudier à l’ESBAA ?

Hayet : Non. Je suis d'abord allée à l’Université au Sahara et je me suis inscrite. Tout s’est bien passé, tout m’a plu. Je me suis dit, c’est ici qu’aura lieu ma guérison. J’aurais voulu être une écrivaine mondialement connue et une réalisatrice de films, pour après, aller à l’étranger, où je serai estimée à ma juste valeur. J’adore les films américains d’horreur, les films hollywoodiens. J’ai rencontré par hasard, des artistes qui allaient tourner un film, je les ai invités à venir manger chez nous, même s’il n’y avait rien à manger chez nous. L’essentiel c’était de les avoir avec nous. Je ne pouvais pas passer le concours pour accéder au Beaux-arts d’Alger, parce que je n’avais plus où habiter. La fille qui m’avait promis de loger avec elle a changé d’avis, alors ils mont donné des sous. Et je me suis inscrite en 2012.

J’ai bien sûr passé le concours et je l’ai réussi, même si le contact avec les artistes qui peignaient était fascinant et amplement suffisant pour la néophyte que j’étais. Il était en principe difficile de s’adapter à une grande ville comme Alger pour une paysanne comme moi, mais je n’ai éprouvé aucune difficulté. J’ai commencé à faire de la peinture acrylique. Je me suis sentie épanouie et j’ai promis à ma mère de réussir brillamment mes cinq années d’études, sans jamais redoubler et sans entretenir aucune relation [amoureuse], juste, l’art et moi.

Mais l’administration et les professeurs en ont décidé autrement. Ils ont décrété que j’étais céramiste (…), alors j’ai tout abandonné et j’ai décidé de m’enrôler dans l’armée. J’en ai informé ma famille, qui savait pourtant, que je n’étais pas du genre à abdiquer. J’avais 25 ans et je n’ai pas pu signer pour les 8 ans qu’ils me proposaient, alors j’ai décidé de faire de la boxe. Je me suis bien défoulée et quand j’ai compris que j’étais maintenant en mesure de gérer la situation et de ne pas m’emporter, j’ai repris les Beaux-arts.

 

Et maintenant c’est quoi ton projet de fin d’études, sur quoi tu travailles ?

Hayet : J’ai accepté d’être céramiste et j’ai décidé d’être majeure de ma promotion tous les ans. Même si je me dis, mon objectif est noble, pourquoi ne me laisse-t-on pas concrétiser mon projet, j’ai accepté d’être céramiste et j’ai continué à peindre dans ma chambre, jusqu’à ce que je découvre ce que je veux vraiment faire. J’ai finalement, réussi à trouver mon style ; après cinq ans…

 

Quel ton projet exactement ? 

Hayet : J’ai réussi à réaliser une peinture avec de la céramique. C’était un peu deux en un, une peinture sculpturale. Même si je n’ai pas beaucoup de moyens, j’ai quand même réussi à obtenir un bon résultat. En tous les cas, je suis satisfaite de mon travail. J’ai enfin pu réaliser mes idées. Je travaille sur le temps, c’est mon sujet de prédilection et je m’inspire des théories et études philosophiques pour le traiter.

J’ai voulu illustrer le temps par le biais du mouvement, car pour moi ; le temps est difficile à appréhender, comme c’est la cas, pour les autres notions philosophiques, comme la liberté et l’amour. J’ai alors cerné le temps humain, en fabriquant une horloge sous forme d’utérus ouvert. Sur mon horloge, le temps de la naissance fait face à celui de la mort. Les aiguilles symbolisent les temps forts de la vie de l’humain.(…) Plus tard, quand j’aurai terminé mes études, je voudrais enseigner aux Beaux-arts, mais également, publier un livre, livre que j’ai déjà commencé à écrire, mais que je n’ai pas encore achevé.

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